Les modes à la guitare
La musique modale, on s’en fait souvent un monde, laissant ça aux puristes ou aux guitaristes avancés. Je vais vous montrer au travers d’une série d’article sur les modes à la guitare, que ce n’est pas si sorcier et que cela permet d’explorer sans fin des sonorités riches et variées pour vos compostions, solos ou impros. Car oui, les modes, c’est encore à la mode !
QU’EST-CE QU’UN MODE ?
Cette question n’est pas compliquée et je vous rassure, la réponse est tout aussi simple.
Un mode, c’est une couleur sonore, une ambiance.
On trouve sur le net des tonnes d’informations contradictoires et des explications complexes sur le sujet. Alors s’il n’y a bien qu’une chose à retenir dans cet article, c’est bien ça : un mode c’est une couleur sonore, une ambiance. (Si vous souhaitez parler de sonorités ça marche aussi).
Attention ! Quand je parle d’ambiance, je ne parle pas de musiques d’ambiances, d’ambient ou d’easy listening. Je parle bien d’ambiance musicale, idée qu’on peut retrouver dans tous les styles.
Maintenant qu’on a défini ce que c’est, on va casser certaines erreurs courantes sur le net pour que les choses soient plus claires.
Un mode, ce n’est pas une gamme, ce n’est pas une position d’une gamme ou autre chose de ce genre.
Ceci sont des exemples de gammes en guitare et plus exactement les 7 positions à 3 notes par corde de la gamme de La majeure :
On ne peut pas illustrer un mode de cette façon !
Donc si on vous parle de gamme dorienne ou gamme lydienne (ou n’importe quel autre nom de modes que nous verrons plus loin dans l’article), vous pouvez arrêter de suite de lire ou d’écouter la personne. Ou alors de lui demander d’appeler le SAV de HGuitare !
Maintenant, nous allons voir comment faire sonner un mode et comment ça fonctionne.
COMMENT FONCTIONNE UN MODE À LA GUITARE ?
Pour qu’on parle de mode, ou de musique modale (mais nous reviendrons sur ce terme un peu après), il faut qu’une note précise prenne le pas.
Dans la musique tonale (l’harmonie la plus courante, celle qu’on trouve par exemple dans la variété internationale ou française, ou dans la plupart des morceaux de pop), on enchaîne les accords d’une même gamme souvent et chaque accord et une ou plusieurs mélodies sont jouées par-dessus avec un rythme qui soutient le tout. Et dans cette vision là toutes les notes sont aussi importantes parce qu’elles sont globalement aussi présentes dans le temps, elles ont le même poids dans le morceau.
Dans un mode (de la musique modale) comme je l’ai dit, une note prend le pas sur les autres car elle est plus présente ; qu’elle soit répétée (ce qu’on appelle une pédale) ou qu’elle résonne (ce qu’on appelle un bourdon, qu’on trouve dans la plupart des cornemuses).
Comme cette note est plus présente votre oreille va la considérer comme plus importante et donc, toutes les autres notes seront ramenées à celle-ci. On ne va plus réfléchir par rapport à la gamme mais par rapport à cette note. Elle deviendra la note « stable », celle de « résolution » de votre musique. Votre oreille considérera que ce sera « normal » quand vos accords reviendront sur cette note et ce, quelque soit son degré dans la gamme (et quelque soit la gamme).
Précision avant toute autre chose : pour qu’il y ait un mode, il faut qu’il y ait ce principe que nous venons d’expliquer, mais également 6 autres notes ! Oui, un mode n’existe que s’il y a 7 notes. (Quelques exceptions existent mais sont vraiment des cas bien précis).
Ce qu’on appelle la musique modale est simplement de la musique qui utilise un ou plusieurs modes. C’est souvent un terme en opposition aux autres harmonies : tonale, blues et atonale.
Dans la musique modale, on va comme je l’ai dit faire sonner un mode et pour ça on va utiliser ce qu’on a dit précédemment : faire ressortir une note plus que les autres soit en la répétant soit en la faisant résonner.
Vous devez certainement connaître « La Grange », un des plus gros tubes de ZZ Top :
A la guitare (et la basse aussi) on va répéter la note La. Principalement en grattant le power chord de La (La5). On va donc instaurer à l’oreille de l’auditeur que le La est plus important. Les autres notes vont donc être ramenées à ce La.
En gros le La devient notre fondamentale et notre oreille va entendre un mode. Le nom du mode et sa sonorité vont être définis par l’écart de chacune de ces notes par rapport à notre fondamentale. En gros, la sonorité va être définie par les intervalles entre les 6 autres notes et la fondamentale.
Donc « La grange » est un morceau modal.
Les modes (et la musique modale) peuvent se retrouver dans plusieurs styles de musique : certains morceaux de rock, beaucoup de morceaux de metal, dans le funk, dans le rap parfois aussi, dans la pop (mais c’est beaucoup plus rare), le jazz modal (oui là ça paraît évident), dans la musique de film, dans certaines musiques traditionnelles (musiques celtiques, occitanes, arabes, indiennes et d’autres).
Même dans la musique « classique » (pas avant la fin du XIXe siècle) on peut retrouver des modes, comme dans le célèbre morceau (initialement pour piano) d’Isaac Albeniz « Asturias », qui est un morceau modal :
Ou encore, dans le célèbre morceau de Maurice Ravel, Le Boléro (si on analyse ce que joue les instruments qui tiennent la rythmique et l’harmonie, on voit clairement une note qui est répétée … et vraiment beaucoup) :
Bien évidemment, un morceau peut répéter une note et changer une ou plusieurs autres pour changer de modes (et donc d’ambiance), en gros on peut rester sur un morceau modal mais changer de modes et ça se fait assez régulièrement, ça permet de donner un autre souffle au morceau.
COMMENT FAIRE SONNER UN MODE ?
Nous allons voir comment faire sonner un mode avec votre guitare mais il y a plein de façons différentes qui dépendent de plusieurs paramètres.
Nous allons découper les possibilités, en fonction de ce qui est possible.
Pour qu’il y ait un mode, il faut qu’il y ait cette fameuse note répétée ou qui résonne et qu’on entende les autres notes également pour faire entendre les écarts (et donc leurs fonctions).
Si vous êtes tout.e seul.e, prenez votre guitare et soit :
1) vous faites résonner votre corde grave et vous commencez par jouer vos notes du mode, (autrement dit les notes de la gamme associée au mode) puis quand vous êtes à l’aise vous commencez à créez des mélodies, voire à improviser à la guitare.
2) vous répétez la corde grave et vous alternez avec les autres notes du mode en revenant fréquemment sur votre fondamentale pour que l’oreille l’entende souvent.
Voici une démonstration de ce que ça peut donner :
Exemple
- EXEMPLE AUDIO 1
J’utilise ici le mode Lydien, pour l’instant ça ne vous dit rien mais comme ça vous pouvez déjà vous imprégner de cette ambiance lydienne : - EXEMPLE AUDIO 2
Je commence avec le mode lydien pour que vous puissiez voir le lien avec l’autre technique et ensuite je fais un mode phrygien. Remarquez bien la différence d’ambiance :
Si vous avez un looper (ou une loopstation), vous pouvez faire vos propres rythmiques à la guitare en insistant toujours plus sur un accord. Vous pouvez également faire des riffs à condition qu’une note ressorte plus que les autres.
Une fois votre boucle faite, vous pouvez la faire tourner et jouer dessus et ainsi créer des mélodies voire même improviser.
Si vous avez des amis musiciens, ou un groupe, vous pouvez faire des expérimentations en leur demandant de faire tourner une rythmique modale (comme expliquée au dessus) et pendant ce temps vous pouvez créer une mélodie ou encore improviser.
Et sinon vous cherchez des backing tracks modaux sur internet et vous faites comme avec les autres : mélodie, puis impro. Vous pouvez même créer des riffs modaux, ça change l’objectif et surtout ça fait découvrir les modes différemment.
QUELS MODES POSSIBLES ?
Dans l’absolu, chaque gamme heptatonique (gamme à 7 notes) a 7 modes. Donc je vous laisse imaginer le nombre de possibilités que ça ouvre.
Dans la réalité, les principaux modes utilisés sont ceux de la gamme majeure et encore, certains ne sont quasiment pas utilisés sur les 7 de cette gamme.Pour rappel, il y a un mode par degré.Le mode s’appuie sur le degré, si le degré est majeur, le mode sera majeur.
Le mode a besoin de sa fondamentale (bon ça normalement c’est compris) mais il a aussi besoin des 6 autres notes pour définir sa couleur. Ces notes seront donc définies par leur écart avec la fondamentale et donc leur fonction.
Voici ce que ça donne pour la gamme majeure :
Ce tableau n’est pas forcément clair pour vous maintenant mais je vous rassure, nous développerons chaque colonne dans de prochains articles et surtout dans les cours de guitare que vous retrouverez en section « spécialisation ». Essayez de le garder dans un coin de votre tête, vous verrez que très bientôt il sera limpide.
La dernière ligne contient le nom de chaque mode. Par exemple le mode du degré IV est le Lydien.
D’OÙ VIENNENT LES NOMS DES MODES ?
Un peu d’histoire maintenant, ces modes ne sont pas récents et il faut savoir que la musique a été d’abord modale avant d’être tonale (l’harmonie tonale est donc arrivée après).
Ce qu’on soupçonne comme étant le début de notre système dodécaphonique (système a 12 notes par octave) viendrait de Pythagore (mais tout le monde n’est pas d’accord là-dessus, donc je reste prudent).
On ne va pas parler de la création des notes et de la division (en fraction) d’une longueur de cordes (on en parlera plus tard peut-être) mais là ce qui nous intéresse c’est que la Grèce antique serait le début de notre musique occidentale.
Les grecs ont très vite utilisé des systèmes d’harmonisations comme les tétracordes. Et par empilement de 2 tétracordes, ils ont mis en place des modes. Je saute volontairement des étapes mais il faut savoir que l’harmonie n’était pas perçue ni appréhendée comme elle l’est actuellement.
Ils ont donc sorti un mode par note de la gamme majeure et leur ont donné des noms de régions dans lesquels ils vivaient.
En effet la Lydie, la Phrygie (comme les bonnets) ou encore la Ionie sont des régions que l’on trouvait en Asie Mineure (la Turquie maintenant) et la Doris et la Locride sont des régions qui se situaient en Grèce antique.
Il est intéressant de savoir que la plupart des noms des modes issus d’autres gammes utiliseront ces mêmes mots là mais en rajoutant la modification. Par exemple mixolydien b6, qui est un mixolydien mais qui a une sixte mineure (alors que dans le mixolydien « normal » elle est majeure).
Attention également, en anglais l’Eolien s’appelle l’Aeolian, avec le « A » en plus, mais en Français ce A ne se met pas. Vous pouvez donc aisément douter de personnes ou de sources disant « Aeolien » pour le mode du VIe degré de la gamme majeure.
Pour les autres, on remplace le « en » final par un « an » et vous avez leur nom en anglais.
Il existe des cas un peu rigolos comme le mode Bartok (qui a plusieurs noms d’ailleurs) mais qu’on appelle souvent comme ça parce que le compositeur Bela Bartok l’utilisait beaucoup.
Dans une série de prochains articles nous verrons comment utiliser et travailler chacun des modes de la gamme majeure. Chaque article détaillera un mode, ces spécificités et sa sonorité ainsi que ses utilisations.
Enfin, si cela vous intéresse, retrouvez-moi dans une série de cours spécialement sur ce sujet dans les cursus « spécialisation ».
A très bientôt !
Rédacteur : Sophian Alkurdi