La (petite) histoire du Rock #3 : Le Rock Psychédélique
Dans cette série d'articles consacrée aux différents styles du rock, je me suis fixé pour objectif de vous fournir toutes les clefs en main pour devenir incollable sur le sujet.
La dernière fois, nous avons étudié le rock des dandy british du début des années 60. Nous allons cette fois-ci nous intéresser à la musique d'une bande de baba cools venus de Californie !
LE ROCK PSYCHÉ, UNE HISTOIRE D'ENCENS ET DE PATCHOULI
En 1966, l'Angleterre est la Terre Promise incontestée du rock'n'roll. En l'espace de trois ans, les Beatles, les Rolling Stones et toute la cohorte de groupes de la British Invasion ont redéfini tous les codes du rock et l'ont porté à un niveau jamais atteint jusqu'alors.
Pourtant, l'Amérique n'a pas dit son dernier mot ! Embourbée depuis le début des sixties dans la musique surf, le folk beatnik et les ballades irrésistibles mais commerciales de la Motown, la Première Puissance Mondiale s'apprête à reprendre la main sur l'avenir d'une musique qu'elle a inventé !
Depuis le début de l'année 1966, il se passe quelque chose dans la jeunesse américaine. On assiste à la montée de mouvements contestataires et pacifistes, qui rejettent la ségrégation raciale et s'opposent à la Guerre du Vietnam qui fait rage depuis près de 10 ans.
Les cheveux et les barbes des adolescent poussent plus que de raison, et leurs vêtements se parrent de couleurs chatoyantes.
Portée par la consommation intensive de LSD, un psychotrope alors en vente libre, une nouvelle culture "peace & love" pronant l'hédonisme, l'amour libre et la vie en communauté est en train d'émerger.
Le mouvement hippie, dont l'épicentre est le quartier d'Haight-Ashbury à San Francisco, gagne chaque jour un peu plus de terrain et menace de submerger l'Amérique bien-pensante et conservatrice !
Très vite, de nombreux artistes californiens, qui à l'origine jouaient du blues-rock, du folk, du garage ou du rhythm&blues, vont devenir les ambassadeurs d'un nouveau style musical baptisé "rock psychédélique".
On peut citer les Grateful Dead, Janis Joplin, Jefferson Airplane, Quicksilver Messenger Service, Blue Cheer, Santana, The Charlatans (originaires de San Francisco), The Doors, Love, Frank Zappa, The Seeds, The Mamas and The Papas (originaires de Los Angeles) ou encore Iron Butterfly (originaires de San Diego).
Le rock psychédélique, aussi appelé "acid rock" (en référence à l'acide lysergique, le LSD), se caractérise par son côté planant, expérimental et improvisé, totalement adapté à un public en état de transe !
A partir de 1967, ce nouveau style jusqu'alors endémique à la Californie fini par conquérir le reste de l'Amérique (Vanilla Fudge, The Youngbloods, The 13th Floor Elevator), puis l'Europe.
L'Angleterre n'est bien sur pas en reste : Londres, une ville jusqu'alors assez triste et austère après des années de privations d'après-guerre, se pare désormais des veste à brocards, pantalons pattes d'éléphants et mini-jupes bigarées du Swingin' London !
Sous le chaperonnage de Jimi Hendrix, virtuose de la guitare venu prêcher la bonne parole psychédélique dans la capitale britannique, les anciennes gloires de la British Invasion se mettent les uns après les autres au goût du jour ! Les Beatles se convertissent à la méditation transcendentale, se laissent pousser les cheveux et la barbe et enregistrent "Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band", puis "Magical Mystery Tour".
Les Rolling Stones leurs emboitent le pas avec "Their Satanic Majesties Request". Les Who, les Yardbirds, les Animals, les Small Faces, Cream et Pink Floyd suivent eux-aussi le mouvement, histoire de ne pas rester sur la touche !
De plus, on assiste à la formation de nouveaux groupes 100% psychédéliques, comme Jethro Tull, Soft Machine ou Hawkwind.
Dans le reste du Vieux Continent, certains artistes contribuent également à faire vivre la version européenne du style psychédélique : on peut citer les Shocking Blues aux Pays-Bas, Aphrodite's Child en Grèce, la troupe de la comédie musicale Hair en France...
PUIS, LE PSYHÉ DÉRAPE…
Mais aux USA, tout n'est plus si rose : après le triomphe du festival de Monterey en 1967, et surtout de Woodstock en 1969, la machine se grippe progressivement.
Le mouvement hippie, avec son utopie communautaire et son rejet illusoire de la société de consommation, était voué dès le départ à être éphémère.
Le LSD est devenu un produit illégal, de nombreux hippies sont devenus accrocs à des drogues plus dures. Certains sont même tombés dans des sectes, tels les membres assassins de la terrible Family de Charles Manson... Le festival gratuit d'Altamont, organisé par les Rolling Stones, est un fiasco monumental qui se solde par l'assassinat en direct d'un spectateur par les Hell's Angels.
Finalement, les décès par overdose de Janis Joplin, Jimi Hendrix et Jim Morrison achèvent de mettre définitivement fin au rêve.
A l'aube des années 70, la plupart des groupes abandonnent leurs oripeaux "peace & love" et reviennent à un son plus basique et plus dur, qui évolue peu à peu vers le hard rock (Steppenwolf, Deep Purple, Black Sabbath, Led Zeppelin).
D'autres, à l'inverse, choisissent de pousser l'onirisme encore plus loin et développent un style alambiqué et savant, le rock progressif (Yes, King Crimson, Genesis, Pink Floyd).
Dans le courant des années 80 et 90, le rock psychédélique originel a presque entièrement disparu et ne survit plus guère que sous forme de musique électronique, dans les raves techno et trance goa...
Pourtant, alors que tout semblait perdu, on assiste depuis les années 2000 au retour de l'acid rock sous une forme plus heavy, grâce au mouvement stoner (Kyuss, Monster Magnet). Certains groupes néo-hippies osent même reprendre à leur compte l'esthétique sonore et visuelle des groupes des années 60, tels the Brian Jonestown Massacre, Acid Mothers Temple ou King Gizzard & the Lizard Wizard.
La musique psychédélique n'a donc pas encore dit son dernier mot !
UN RAPIDE REGARD SOUS LE CAPOT
Penchons nous à présent sur les caractéristiques du rock psychédélique.
Sur le plan rythmique, on constate un goût prononcé pour les parties de basse/batterie hypnotiques et répétitives. Le but est de fournir une base qui permet au soliste de partir dans de longues improvisations.
On hésite pas à utiliser des signatures rythmiques atypiques, qui sortent des canons rigides du rock traditionnel : 3/4, 6/4, 7/4...
Il est également courant d'avoir recours à des instruments à percussions exotiques (en particulier venant d'Inde, d'Afrique du Nord, du Brésil...), qui donnent une touche "world" à certaines rythmiques !
Sur le plan harmonique, le rock psychédélique affectionne les progressions d'accords étranges, avec inclusion d'accords hors-tonalité.
Il a couramment recours à l'harmonie modale (en particulier phrygienne et mixolydienne), une grande première dans le monde du rock'n'roll ! Les groupes de rock psychédéliques aiment également proposer différentes ambiances au sein d'un même morceau.
Sur le plan structurel, on s'éloigne du format pop qui dominait jusqu'alors, et des chansons de 3 minutes destinées à occuper une courte face de 45 tours. Les musiciens psychédéliques affectionnent au contraire les longs morceaux, qui durent dans certains cas extrêmes plus de 15 minutes et occupent toute une face de 33 tours !
Cette tendance permettra d'ailleurs au format album de s'imposer face au format single, qui régnait en maître depuis les débuts du rock'n'roll.
Enfin, avec le rock psychédélique, les ingénieurs du son vont pour la première fois pouvoir se servir du studio comme d'un instrument de musique à part entière ! L'époque est aux expérimentations diverses : flanger, phaser, bandes magnétiques passées à l'envers, placements panoramiques improbables... Des ingénieurs du son comme Paul Rothchild (The Doors), Eddie Kramer (Jimi Hendrix) ou George Martin (The Beatles) sont à l'origine de techniques de productions totalement novatrices pour l'époque, qui ont largement contribué à façonner l'identité sonore du rock psychédélique.
ET AU FAIT, ON PARLE DE QUOI DANS LES CHANSONS ?
Les thèmes abordés dans le rock psychédélique sont bien entendu directement lié à la contre-culture américaine des années 60 !
A savoir, l'amour libre et la vie en communauté ("Get Together" des Youngbloods, "California Dreamin'" des Mamas & Pappas), la liberté ("Freedom" de Jimi Hendrix), ou encore la contestation ("We Gotta Get Out Of This Place" des Animals, contre la guerre du Vietnam).
De même, on note un penchant tout naturel pour les sous-entendus appuyés aux drogues hallucinogènes ("Purple Haze", toujours d'Hendrix), et d'une manière générale à tout ce qui a trait au voyage mental, à l'ésotérisme, voire même à la science-fiction et à l'espace ("Silver Machine" de Hawkwind).
De nombreux groupes d'acid rock aimaient également faire des références régulières à la poésie, voire la littérature ("White Rabbit" de Jefferson Airplane, basé sur un personnage d'Alice au pays des merveilles).
LE GROUPE TYPE ET TYPÉ DU ROCK PSYCHÉDÉLIQUE
Passons pour finir à la partie la plus ludique de cet article, celle où vous allez vous amuser à donner vie à un groupe "pastiche" de rock psychédélique !
Voici ce qu'il vous faudra :
- UN BATTEUR.
Par rapport au rock'n'roll traditionnel ou au British beat, les batteurs psychédéliques affectionnent des kits nettement plus sophistiqués : pour la première fois dans l'histoire du rock, on peut se servir avec joie de toms, de cymbales, de percussions exotiques, voire même de gongs !
Le jeu du batteur devra cependant rester assez léger et laid-back, la batterie n'étant pas encore un instrument vedette comme il le deviendra par la suite dans le hard rock.
- UN BASSISTE
Qui jouera des motifs répétitifs et hypnotiques, avec un sond bien rond et riche en fréquences basses.
- UN GUITARISTE RYTHMIQUE
Qui jouera ses suites d'accords de manière relax, sans trop s'énerver, sur une guitare folk, une 12-cordes ou une guitare électrique en son clean.
Ce musicien assurera aussi les choeurs.
- UN GUITARISTE LEAD
Avec le rock psychédélique, le guitariste soliste va pouvoir s'en donner à coeur joie ! Il aura de nombreuses occasions de se lancer dans de longues improvisations tortueuses, qu'il jouera à l'instinct en se basant sur les gammes pentatoniques, avec intrusions régulières de gammes modales (en particulier phrygiennes, lydiennes, mixolydiennes et éoliennes).
Le guitariste lead utilisera volontiers une pédale fuzz, le micro grave ainsi que les boutons de volume et de tonalité de sa guitare afin d'obtenir un son éthéré, crémeux, avec une attaque douce et un long sustain ! Il pourra également se servir à volonté de toutes sortes de pédales d'effets : wah wah, univibe, phaser...
- UN CLAVIERISTE
Pour la première fois dans l'histoire du rock, les claviers prennent une importance capitale. A tel point qu'un claviériste est quasiment indispensable pour sonner réellement psychédélique !
Ce musicien pourra se servir d'un orgue de type B3 ou Hammond, avec éventuellement une cabine Leslie et un son saturé, et plaquer de longues nappes atmosphériques ou bien se lancer dans de folles improvisations à la manière de Ray Manzarek (the Doors).
Le claviériste pourra aussi rechercher des sonorités acidulées de type Mellotron, et habiller les chansons de toutes sortes d'instruments étranges.
Il pourra également assurer les choeurs : plus on est de fous, plus on rit !
- UN CHANTEUR
Qui devra chanter comme un possédé, avec conviction. Des vocalises graves et inquiétantes, façon gourou de secte, sont totalement dans l'esprit ! Sinon, si vous connaissez une chanteuse avec une belle voix bluesy à la Janis Joplin (Big Brother & The Holding Company) ou Grace Slick (Jefferson Airplaine), c'est le moment de l'appeler : le rock psychédélique est en effet le premier style de l'histoire du rock à avoir donné une place de premier choix aux femmes !
MUSICIENS ADDITIONNELS
- UN FLUTISTE. Si vous en connaissez un, c'est parfait ! La flute est un instrument baba cool par excellence, qui donnera immédiatement une touche psychédélique à n'importe quel morceau !
- UN SITARISTE. Car on a tous un bon jouer de sitar parmi ses relations, n'est-ce pas ? :)
Dernier détail d'importance : tous ces braves gens doivent bien entendu porter les vêtements les plus colorés et improbables possibles (un passage à la friperie de votre quartier s'impose !), et oublier toute idée de se raser ou de se couper les cheveux !
Dans le prochain article de cette série sur l'Histoire du rock, nous verrons de quelle manière certains hippies ont abandonné toute idée de paix et d'amour pour développer un style d'une violence inouïe : le hard rock !
Rédacteur : Sylvain Peter